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c'est faux, ou la personne meurt ou elle ne meurt pas. Et par conséquent, si la
vision tombe juste, il faudrait, pour être sûr qu'il n'y a pas là un effet du
hasard, avoir comparé le nombre des « cas vrais » à celui des « cas faux ». Il
Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 41
ne voyait pas que son argumentation reposait sur une substitution : il avait
remplacé la description de la scène concrète et vivante - de l'officier tombant à
un moment déterminé, en un lieu déterminé, avec tels ou tels soldats autour de
lui - par cette formule sèche et abstraite : « La dame était dans le vrai, et non
pas dans le faux. » Ah, si nous acceptons la transposition dans l'abstrait, il
faudra en effet que nous comparions in abstracto le nombre des cas vrais au
nombre des cas faux ; et nous trouverons peut-être qu'il y en a plus de faux
que de vrais, et le docteur aura eu raison. Mais cette abstraction consiste à
négliger ce qu'il y a d'essentiel, le tableau aperçu par la dame, et qui se trouve
reproduire telle quelle une scène très compliquée, éloignée d'elle. Concevez-
vous qu'un peintre, dessinant sur sa toile un coin de bataille, et se fiant pour
cela à sa fantaisie, puisse être si bien servi par le hasard qu'il se trouve avoir
exécuté le portrait de soldats réels, réellement mêlés ce jour-là à une bataille
où ils accomplissaient les gestes que le peintre leur prête ? Évidemment non.
La supputation des probabilités, à laquelle on fait appel, nous montrerait que
c'est impossible, parce qu'une scène où des personnes déterminées prennent
des attitudes déterminées est chose unique en son genre, parce que les lignes
d'un visage humain sont déjà uniques en leur genre, et que par conséquent
chaque personnage - à plus forte raison la scène qui les réunit - est décompo-
sable en une infinité d'éléments indépendants pour nous les uns des autres : de
sorte qu'il faudrait un nombre de coïncidences infini pour que le hasard fît de
la scène de fantaisie la reproduction d'une scène réelle 1 : en d'autres termes, il
est mathématiquement impossible qu'un tableau sorti de l'imagination du
peintre dessine, tel qu'il a eu lieu, un incident de la bataille. Or, la dame qui
avait la vision d'un coin de bataille était dans la situation de ce peintre ; son
imagination exécutait un tableau. Si le tableau était la reproduction d'une
scène réelle, il fallait, de toute nécessité, qu'elle aperçût cette scène ou qu'elle
fût en rapport avec une conscience qui l'apercevait. Je n'ai que faire de la
comparaison du nombre des « cas vrais » à celui des « cas faux » ; la statisti-
que n'a rien à voir ici ; le cas unique qu'on nie présente me suffit, du moment
que je le prends avec tout ce qu'il contient. C'est pourquoi, si c'eût été le
moment de discuter avec le docteur, je lui aurais dit : « je ne sais si le récit
qu'on vous a fait était digne de foi ; j'ignore si la dame a eu la vision exacte de
la scène qui se déroulait loin d'elle ; mais si ce point m'était démontré, si je
pouvais seulement être sûr que la physionomie d'un soldat inconnu d'elle,
présent à la scène, lui est apparue telle qu'elle était en réalité - eh bien alors,
quand même il serait prouvé qu'il y a eu des milliers de visions fausses et
quand même il n'y aurait jamais eu d'autre hallucination véridique que celle-
ci, je tiendrais pour rigoureusement et définitivement établie la réalité de la
télépathie, ou plus généralement la possibilité de percevoir des objets et des
événements que nos sens, avec tous les instruments qui en étendent la portée,
sont incapables d'atteindre. »
Mais en voilà assez sur ce point. J'arrive à la cause plus profonde qui a
retardé jusqu'ici la « recherche psychique » en dirigeant d'un autre côté l'acti-
vité des savants.
1
Encore ne tenons-nous pas compte de la coïncidence dans le temps, c'est-à-dire du fait
que les deux scènes dont le contenu est identique ont choisi, pour apparaître, le même
moment.
Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 42
On s'étonne parfois que la science moderne se soit détournée des faits qui [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]
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c'est faux, ou la personne meurt ou elle ne meurt pas. Et par conséquent, si la
vision tombe juste, il faudrait, pour être sûr qu'il n'y a pas là un effet du
hasard, avoir comparé le nombre des « cas vrais » à celui des « cas faux ». Il
Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 41
ne voyait pas que son argumentation reposait sur une substitution : il avait
remplacé la description de la scène concrète et vivante - de l'officier tombant à
un moment déterminé, en un lieu déterminé, avec tels ou tels soldats autour de
lui - par cette formule sèche et abstraite : « La dame était dans le vrai, et non
pas dans le faux. » Ah, si nous acceptons la transposition dans l'abstrait, il
faudra en effet que nous comparions in abstracto le nombre des cas vrais au
nombre des cas faux ; et nous trouverons peut-être qu'il y en a plus de faux
que de vrais, et le docteur aura eu raison. Mais cette abstraction consiste à
négliger ce qu'il y a d'essentiel, le tableau aperçu par la dame, et qui se trouve
reproduire telle quelle une scène très compliquée, éloignée d'elle. Concevez-
vous qu'un peintre, dessinant sur sa toile un coin de bataille, et se fiant pour
cela à sa fantaisie, puisse être si bien servi par le hasard qu'il se trouve avoir
exécuté le portrait de soldats réels, réellement mêlés ce jour-là à une bataille
où ils accomplissaient les gestes que le peintre leur prête ? Évidemment non.
La supputation des probabilités, à laquelle on fait appel, nous montrerait que
c'est impossible, parce qu'une scène où des personnes déterminées prennent
des attitudes déterminées est chose unique en son genre, parce que les lignes
d'un visage humain sont déjà uniques en leur genre, et que par conséquent
chaque personnage - à plus forte raison la scène qui les réunit - est décompo-
sable en une infinité d'éléments indépendants pour nous les uns des autres : de
sorte qu'il faudrait un nombre de coïncidences infini pour que le hasard fît de
la scène de fantaisie la reproduction d'une scène réelle 1 : en d'autres termes, il
est mathématiquement impossible qu'un tableau sorti de l'imagination du
peintre dessine, tel qu'il a eu lieu, un incident de la bataille. Or, la dame qui
avait la vision d'un coin de bataille était dans la situation de ce peintre ; son
imagination exécutait un tableau. Si le tableau était la reproduction d'une
scène réelle, il fallait, de toute nécessité, qu'elle aperçût cette scène ou qu'elle
fût en rapport avec une conscience qui l'apercevait. Je n'ai que faire de la
comparaison du nombre des « cas vrais » à celui des « cas faux » ; la statisti-
que n'a rien à voir ici ; le cas unique qu'on nie présente me suffit, du moment
que je le prends avec tout ce qu'il contient. C'est pourquoi, si c'eût été le
moment de discuter avec le docteur, je lui aurais dit : « je ne sais si le récit
qu'on vous a fait était digne de foi ; j'ignore si la dame a eu la vision exacte de
la scène qui se déroulait loin d'elle ; mais si ce point m'était démontré, si je
pouvais seulement être sûr que la physionomie d'un soldat inconnu d'elle,
présent à la scène, lui est apparue telle qu'elle était en réalité - eh bien alors,
quand même il serait prouvé qu'il y a eu des milliers de visions fausses et
quand même il n'y aurait jamais eu d'autre hallucination véridique que celle-
ci, je tiendrais pour rigoureusement et définitivement établie la réalité de la
télépathie, ou plus généralement la possibilité de percevoir des objets et des
événements que nos sens, avec tous les instruments qui en étendent la portée,
sont incapables d'atteindre. »
Mais en voilà assez sur ce point. J'arrive à la cause plus profonde qui a
retardé jusqu'ici la « recherche psychique » en dirigeant d'un autre côté l'acti-
vité des savants.
1
Encore ne tenons-nous pas compte de la coïncidence dans le temps, c'est-à-dire du fait
que les deux scènes dont le contenu est identique ont choisi, pour apparaître, le même
moment.
Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 42
On s'étonne parfois que la science moderne se soit détournée des faits qui [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]